Claire et Marc Héber-Suffrin ont donné à Lewarde une conférence sur les RERS

Ex-institutrice liée au mouvement Freinet, docteure en psychosociologie des groupes en éducation et en formation et cofondatrice du mouvement français des Réseaux d'échanges réciproques de savoirs^® (RERS), Claire Héber-Suffrin, accompagnée de son mari Marc, a exposé ce mercredi 7 novembre dans la salle de réunion des élus de la Communauté de Communes Coeur d'Ostrevent (CCCO) du domaine du Château à Lewarde l'historique et le fonctionnement des RERS. Soucieuses d'obtenir des éclaircissements et des outils, trente personnes membres des RERS d'Auberchicourt, d'Ecaillon, de Marcq-en-Ostrevent ou travaillant au Centre social Henri-Martel de Waziers ont assisté à cette conférence de trois heures.

Après avoir accueilli le public, Claire a commencé son propos en retraçant l'historique des RERS. Pour elle, « la façon dont naît un projet répond aux questions actuelles que l'on se pose, autrement dit, la façon dont naît un réseau informe sur ce que nous voulons. Connaître l'histoire permet peut-être de vouloir continuer. »

Institutrice à Orly dès 1961, Claire s'est d'emblée préoccupée de (re)donner de l'estime de soi aux enfants dont elle avait la charge. « On m'avait dit qu'Orly était une commune marquée par la pauvreté économique et que, par conséquent, les choses allaient être difficiles à mettre en place. Or, à ne parler que de ce qui ne va pas, cela pose évidemment problème. Il me fallait donc trouver une pédagogie adaptée. C'est un inspecteur de l'Education Nationale qui va m'apporter un élément de réponse : le mouvement Freinet. »

Aussi, la jeune institutrice a-t-elle cherché à relier les apprentissages scolaires aux besoins réels des élèves. Lors d'une classe de neige, elle s'est rendue compte que le tâtonnement expérimental est formateur. Les promenades scolaires, l'étude du milieu local ont alors conduit tant à l'organisation coopérative de la classe qu'à la responsabilité personnelle. L'expression libre et l'ouverture sur le monde, pratiques ancrées dans la réalité sociale, ont complété cette éducation visant à l'émancipation de l'enfant.

« Je crois », affirme Claire, « que l'on ne sait pas ce que l'on sait si personne ne vous le signifie. On ne pense ensemble que si on se sent l'égal de l'autre. Cette parité entre deux êtres a permis, dans ma classe, la construction de savoirs. L'apprentissage est une réponse à une question que l'on se pose. Et tout ce que l'on apprend doit être consigné. A l'issue de leurs expériences, de leurs découvertes, de leurs apprentissages en montagne, mes élèves ont réalisé une exposition que l'on a présenté aux parents. Cette transmission de savoirs consolide les savoirs. »

« Il faut savoir demander à l'autre », poursuit-elle, « quelque chose dans laquelle on se reconnaît et non chercher à se faire plaisir. Mais pour apprendre, il faut être en sécurité affective, en sécurité cognitive. Bien sûr, on ne peut rester que dans une situation d'aide : on doit pouvoir proposer. Au-delà des enfants, tout citoyen devrait se dire : heureusement que je suis là pour faire et pour recevoir. »

A partir de cette pédagogie et de sa rencontre avec Marc, éducateur bénévole au sein d'un club de prévention, Claire va initier en 1971 le premier RERS à Orly. Depuis, l'idée a fait son chemin puisqu'on recense aujourd'hui plus de 400 RERS en France et dans le monde. Comment expliquer alors un tel développement, un tel déploiement ?

« En 2011, lors des 40 ans du premier RERS, on voulait écrire L'Ecole des belles relations car il est vrai que pour vivre avec l'autre, il faut tenir compte de son existence et considérer sa présence, son être comme importants. La relation à autrui ne peut se faire que de manière conditionnelle au travers de l'expression, du débat et du plaisir. Les gens ne savent d'eux-mêmes que ce qui leur pose problème. Or, si tout le monde ignore des choses, tout le monde sait quelque chose. Pour avancer, il faut donc formuler des demandes et des offres. Et c'est en se serrant les coudes, en échangeant que l'on devient créatif. »

Le principe d'action d'un RERS s'appuie donc sur un postulat (on affirme sans prouver son savoir et son ignorance), une invitation (accepter d'être offreur-transmetteur et d'être demandeur) et une réciprocité (savoir ET ignorer, offrir ET demander, enseigner ET apprendre). Il ne s'agit pas de bienveillance – la bienveillance peut hélas conduire à la condescendance – mais de reconnaissance.

Pour s'entendre sur les choses, il faut s'entendre sur les mots. Aussi, Claire et Marc Héber-Suffrin se sont ensuite attachés à définir un à un les termes qui composent le sigle RERS : réseaux d'échanges réciproques de savoirs.

« Un réseau n'est pas un groupe mais un système dans lequel chacun peut se relier à l'autre par les chemins du savoir. Chacun a une place essentielle qui est la sienne. Si l'on veut une société meilleure, le citoyen doit combattre la compétition, le conformisme et la consommation en développant la coopération, l'esprit critique (et la reconnaissance de la singularité) et la contribution. Un réseau n'est autre qu'une alternative pédagogique collective. Pour moi », a avoué Claire, « ce qui est confortant, c'est l'apprentissage réciproque mutuel. »

A cela, a ajouté Marc, « la propension à regarder ailleurs soulève la problématique de l'éthique au sein des RERS. On peut se questionner soi-même, questionner l'autre mais en aucun cas reprocher à l'autre quoi que ce soit. L'éducation populaire consiste donc à essayer d'apprendre à se définir comme démocrate, comme étant apte à se contrôler. »

« La réciprocité », a poursuivi Claire, « est le cœur du réseau. On est là pour apprendre et c'est réciproque. Et la réciprocité ne peut s'effectuer qu'au travers du don. Je donne mon temps, mon attention, des outils, des questionnements. Le don est ce qui fait de nous des humains. La réciprocité signifie une égalité entre les humains et cette égalité se concrétise dans la parité. Pour paraphraser Emmanuel Levinas, je n'entends ce que me dit l'autre que lorsqu'il me parle à égal. Les paroles doivent être interpersonnelles jusqu'à devenir intra-personnelles. Et c'est en ce sens que la réciprocité a des effets d'apprentissage. »

L'on pourrait lire une redondance dans l'expression « échanges réciproques ». Or, a précisé Claire, « l'échange n'établit pas toujours une équivalence. Quand on est à un moment donné transmetteur et à un autre, apprenant, on est dans la réciprocité. Il faut en être conscient. La réciprocité coopérative consiste donc à construire ensemble contenus et méthodes. »

« Quant aux savoirs, ils ne sont pas réservés à telle ou telle personne », a rappelé Claire. « Les savoirs sont communs donc accessibles ; ils sont de droit pour tous, une richesse et des occasions de construire des liens positifs entre des humains. Si l'on distingue savoirs classiques (parler une langue, découvrir la musique, apprendre les maths, etc.), savoir-faire (la plomberie, la couture, le jardinage, la cuisine, etc.), savoirs fonctionnels (organiser une fête ou un voyage, s'occuper d'un bébé, etc.) et expériences de vie (parler d'un pays, de l'adoption, etc.), il n'existe pas de savoir supérieur à un autre. On n'a pas à les comparer : ils sont incommensurables, non mesurables. Les savoirs étant diversifiés, on peut ainsi compter les uns sur les autres pour une créativité collective. Un savoir donne l'occasion d'aller voir un autre savoir, indéfiniment. »

Depuis 1987, les RERS se sont organisés en mouvement associatif et coopératif à l'échelle nationale en vue de se soutenir mutuellement. Dans ce mouvement, chaque RERS est central pour d'autres réseaux. FORESCO (FOrmations Réciproques Echanges de Savoirs Créations Collectives) joue alors un rôle de coordination et travaille à décrire et à rendre visible l'ingénierie pédagogique, citoyenne et sociale des RERS existants. Pour y participer, il suffit de se rapprocher de l'un d'entre eux en formulant une offre et une demande de savoir.

Texte et photos : MG - 7 novembre 2018. A Nathalie Prévost, présidente du RERS "Tous porteurs de savoirs" de Marcq-en-Ostrevent.