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Projet d'exposition Alexandre Hollan / Eugène Leroy

Publié le par MG

Ils (les peintres) en restent tous aux ébauches, aux impressions hâtives, pas un ne semble avoir la force d'être le maître attendu. N'est-ce pas irritant, cette notation nouvelle de la lumière, cette passion du vrai poussée jusqu'à l'analyse scientifique, cette évolution commencée si originalement, et qui n'aboutit point, parce que l'homme nécessaire n'est pas né ? ... Bah ! l'homme naîtra, rien ne se perd, il faut bien que la lumière soit.

Emile Zola, L’Oeuvre, 1885.

 

   

 

         L’idée de présenter dans une même exposition Alexandre Hollan et Eugène Leroy découle d’une volonté de confronter deux artistes dont les œuvres, en apparence opposées, soulèvent des problématiques communes. Par un traitement et un rendu, certes différents, Hollan et Leroy réunissent des conditions similaires nécessaires à l’élaboration d’une œuvre très personnelle. En effet, la transparence des lavis chez l’un et l’empâtement pictural chez l’autre conservent en secret les états d’inquiétude quotidiens du peintre devant le sujet. Ces errements nourrissent ainsi une œuvre de qualité exceptionnelle, tant sur le plan graphique que pictural. A l’instar de Rembrandt ou de Mondrian1, Alexandre Hollan et Eugène Leroy ont su dès la genèse de leur œuvre concilier l’élégance du geste avec le sens du coloris. Un ensemble rétrospectif2 de leur travail montrerait comment ces artistes ont restitué sur papier comme sur toile l’essence et la lumière du motif tout en refusant une quelconque classification stylistique.

 

 

       1. Entre tradition et modernité :

 

         Des œuvres de jeunesse aux productions actuelles, il semble difficile de déterminer chez Alexandre Hollan comme chez Eugène Leroy des périodes, encore moins des styles. Probablement parce que tous deux recourent toujours aux mêmes techniques (aquarelle, lavis et acrylique pour Hollan ; peinture à l’huile pour Leroy). Certainement parce qu’ils tournent sans cesse autour d’un nombre restreint de sujets classiques tels que les affectionnaient les peintres académiques (nature morte et paysage chez Hollan ; paysage, portrait et nu chez Leroy). Néanmoins, leur refus de tout système et de toute méthode nous laisse devant un œuvre riche et varié. « Eternel retour du même dans la différence »3, la répétition des motifs et la récurrence des média dans leur travail n’ont pas pour autant concouru à l’épuisement des sujets.

 

     L’enfouissement du motif figuratif – la figuration servant alors de prétexte à l’acte – constitue d’emblée l’aspect le plus moderniste de la démarche de Hollan et de Leroy dans ce sens qu’il aboutit inéluctablement à une certaine mise à distance du visible. Le premier joue ainsi des effets de transparence, de profondeur et de densité en appelant aux frottages de fusain, aux superpositions de couches de lavis d’encre ou d’acrylique. La plupart du temps l’artiste, dans sa recherche obsédante d’une harmonie de teintes, tend immanquablement vers la monochromie. Par ailleurs, l’œuvre du second résulte à la fois d’une addition et d’une absorption de couleurs. L’alourdissement du support chez Leroy témoigne d’un long et lent combat avec la peinture et renvoie au poids de l’expérience accumulée.

 

     Mais faut-il nécessairement percevoir dans l’épaisseur des toiles de Leroy une pose expressionniste ? De la même manière que l’on considérait chez Hollan la définition de grandes plages colorées en regard de la peinture de Rothko, on pensait pouvoir affilier les procédés techniques et les tableaux de Leroy aux dripping et au résultat all-over de la peinture américaine des années 1950. Ces rapprochements devenaient justifiables lorsqu’on prétendait comprendre la finalité et la modernité de telles œuvres.

 

     Or, « la peinture de Leroy », peut aussi « opérer dans le sens inverse du modernisme (celui puritain et formaliste qui du plus va vers le moins !) »4. Il apparaît donc inutile de s’attarder ici sur ces tentatives de catégorisation stylistique car il est évident que ni Leroy, ni Hollan ne cherchent la moindre apparence maniériste dans leur travail, et c’est ce rejet manifeste de toute esthétique qui situe leur œuvre en marge de la scène artistique actuelle.

 

 

       2. Entre matière et lumière :

 

       L’expérience de la lumière chez Hollan comme chez Leroy s’est faite au travers du paysage, et plus particulièrement au travers du motif de l’arbre. Leroy a élaboré son œuvre en dessinant et en peignant au plus près des choses : une rangée d’arbres, un poirier, un petit bosquet. D’abord intrigué par les effets du clair-obscur, il est très vite attiré par cette lumière du fond qui construit le tableau et qui l’amène à « mettre un objet dans la peinture, lumière devant-lumière derrière » (E. Leroy). Chez Hollan, le motif de l’arbre est encore plus présent parce qu’il occupe, avec la nature morte, tout l’œuvre entier. De plus, contrairement à Leroy, le peintre-dessinateur « se place à une certaine distance, celle qui permet de voir l’objet tout entier, mais sans rien de plus au pourtour. »5

 

      Les dessins de Leroy sont à rapprocher de ceux de Rembrandt par leur qualité picturale6. Chaque forme se manifeste comme une tâche, et c’est de l’espace obscur qu’émane la clarté des corps et des visages. Tout paraît être une seule et même matière, car la matière est lumière et la lumière, matière. Hollan affectionne lui aussi le contre-jour, mais c’est pour mieux surprendre l’évanouissement de la forme dans le rayonnement lumineux. « L’œuvre s’élabore du clair au sombre ; l’artiste cherchant la vie dans la profondeur qui va vers la matière. »7

 

      Après une prompte esquisse qui lui a permis de dégager de sourdes masses de densités inégales, Hollan passe des jus successifs de couleurs comme pour estomper, effacer, confondre ce qui n’a plus lieu d’être défini. Et « quand la lumière de la profondeur veut échapper, sortir par un endroit plus clair », le peintre « la retient, la repousse, toujours vers les ténèbres pour qu’elle passe partout sous la surface » (A. Hollan). C’est parce qu’il est parvenu à la matière des choses par une lumière à la fois diffuse et contenue que la peinture de Hollan présente une surface régulière et quasi monochrome.

 

     La peinture de Leroy est déjà matière elle-même. Epaisseur des accumulations ; lourdeur d’incessants empâtements ; couleurs sur couleurs. Et pourtant, le peintre ne cherche qu’à retranscrire le résidu de l’émotion première devant un motif vu des dizaines de fois. Comment traduire alors d’une manière réfléchie la captation du spontané ? Comment fixer définitivement le passage du temps et la mouvance de la lumière ? La peinture se constitue progressivement chez Leroy ne retenant que la trace de l’objet englouti dans une masse de couleurs irisées.

 

 

       3. Entre figuration et abstraction :

 

       Chez Hollan comme chez Leroy, l’œil ne peut plus être guidé vers les limites objectales. Bien qu’encore présent sur le support, le sujet n’est plus qu’une masse lâche aux contours incertains flottant dans le surgissement des couleurs. La forme se meurt et se manifeste tout à la fois. Ses bords à peine suggérés lui permettent d’opérer dans un double mouvement de retrait et d’avancée. Entre apparition et disparition, entre lisibilité et illisibilité, l’œuvre de Hollan et de Leroy oscille ainsi entre deux conceptions picturales : la figuration et l’abstraction.

 

     Le ballottement de l’image donne au travail tout son sens. Il n’est nullement question de détruire l’image au profit de la peinture, ni même d’exalter la couleur au détriment de la forme. Image et peinture coexistent à l’intérieur du support dans un rapport de forces égales. En partant d’un motif extrait de la réalité quotidienne, Hollan et Leroy s’attachent à faire advenir une peinture dématérialisante dans ce sens qu’elle condense simultanément la sensation de l’artiste vécue à un moment donné, dans un lieu précis et la lumière contenue et réfléchie de l’objet.

 

     Cependant, Hollan ne se tient jamais au regard immédiat devant le sujet, même s’il continue à dessiner et à peindre d’après motif. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est de pouvoir traduire par la couleur « l’invisible dans le visible, la force inépuisable de la nature »8. Et comme Leroy, il privilégie l’émotion au détriment du sujet. Car « la ressemblance, c’est de peindre un réel qui échappe à la composition, au style, aux proportions, au vraisemblable, au naturel… c’est ce qu’il fait qu’il n’y a pas de réelle différence entre l’art figuratif et l’art abstrait. »9

 

 

       La confrontation Alexandre Hollan/Eugène Leroy paraît donc sur plusieurs points intéressante. Si leur art, parce que nourri de traditions et de références différentes, semble opposé, leurs dessins et leurs peintures participent néanmoins du même enjeu : approcher la substance réelle des choses. Longtemps ignoré, l’œuvre de ces deux artistes connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. Mais la difficulté de compréhension dont fait toujours preuve le public devant une peinture qui n’est ni décorative, ni démonstrative, nous amène à douter de cette récente considération. C’est pourquoi, le pari de l’exposition sera de proposer, par cette confrontation audacieuse, un regard libéré de tout a priori.  

 

M. G. janvier 1999.



Ce projet d'exposition qui me tenait à coeur n'a jamais pu voir le jour. Alexandre Hollan était enthousiaste à l'idée de voir ses oeuvres confrontées à celles d'Eugène Leroy.
Quelques mois après l'écriture de ce projet, Eugène Leroy décédait...

En 1998, j'eus l'exceptionnelle occasion de me rendre chez ce grand artiste du Nord. Je me souviens d'avoir longuement discuté avec lui et d'avoir vu, dans son atelier qui se trouvait à l'étage, les dernières toiles sur lesquelles il travaillait. Je me rappelle encore du moment où, lui serrant la main avant de me retirer, il me dit : "Monsieur, tachez d'être vrai comme j'ai tenté de l'être dans mon travail et durant toute mon existence."

 

1 Parmi les artistes qui les ont fortement influencés, Hollan comme Leroy citent Rembrandt et Mondrian. On se reportera à l’entretien que Leroy a accordé à Irmeline Lebeer, le 17 juillet 1979, publié dans Eugène Leroy, lentille du monde, éditions Lebeer-Hossmann, 1979 (p. p. 15 à 69) ainsi qu’au premier chapitre du texte de Yves Bonnefoy, La journée d’Alexandre Hollan, éditions Le temps qu’il fait, Cognac, 1995.

 

2 Le nombre d’œuvres à exposer sera limité à une dizaine par artiste et comprendra autant de dessins que de peintures. Les formats dépendront de la cohérence de la monstration. Il serait cependant intéressant de présenter des travaux de différentes époques afin d’avoir un ensemble représentatif de la carrière de chaque artiste.

 

3 Bernard Marcadé, Eugène Leroy, collection La création contemporaine, éditions Flammarion, Tours, 1994.

 

4 Bernard Marcadé in Eugène Leroy, 22 mai-13 septembre 1987, musée d’Art moderne de Villeneuve d’Ascq (p. p. 11 à 13).

 

5 Yves Bonnefoy, La journée d’Alexandre Hollan, éditions Le temps qu’il fait, Cognac, 1995 (p. 30).

 

6 Heinrich Wölfflin a consacré tout un chapitre au style pictural des dessins de Rembrandt dans ses fameux Principes fondamentaux de l’histoire de l’art publiés en 1915 et réédités chez Gallimard, collection Idées/Arts, 1966.

 

7 Françoise Espagnet in Regart n°7, avril 1991 (p. 39).
 

8 Françoise Espagnet in Regart n°7, avril 1991 (p. 39).

 

9 Eugène Leroy in Art Press n°162 , octobre 1991, interview d’Alain Buisine, Eugène Leroy, l’énergie de la peinture (p. p. 20 à 27).

Eugène Leroy, "Arbre", fusain, 62 x 46 cm., 1961

Eugène Leroy, "Arbre", fusain, 62 x 46 cm., 1961

Alexandre Hollan, "Grand chêne - Fontainebleau", fusain, 65 x 100 cm., 1987.

Alexandre Hollan, "Grand chêne - Fontainebleau", fusain, 65 x 100 cm., 1987.

Eugène Leroy, "Paysage", huile sur toile, 50 x 73 cm., 1995.

Eugène Leroy, "Paysage", huile sur toile, 50 x 73 cm., 1995.

Alexandre Hollan, "Paysage", aquarelle, 50 x 65 cm., 1979.

Alexandre Hollan, "Paysage", aquarelle, 50 x 65 cm., 1979.

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B
Je tombe par hasard sur votre article. Quel plaisir de le lire ! Merci internet, merci à vous !
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