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L'art adoucit les maux - une histoire de fous

Publié le par MG

MG, "Sans titre" n°15, gouache sur papier cartonné, 10 x 15 cm, 24 janvier 1999.

MG, "Sans titre" n°15, gouache sur papier cartonné, 10 x 15 cm, 24 janvier 1999.

 

A l'heure où l'on s'interroge sur la valeur de l'art contemporain, des formes d'art traditionnellement marginalisées sortent de leur obscurité, suscitant la curiosité des publics et l'intérêt des critiques. Englobés dans l'art brut, singulier, irrégulier, art autre, création franche ou outsider art, cet art hors les normes soulève inéluctablement le problème de ses intentions et de sa transparence.

Il apparaît ainsi difficile pour les admirateurs de la culture dominante, qui se rassurent de trouver dans l'art une continuité historique, de se confronter à ce qu'ils ont toujours redouté : l'atypique, le non officiel et la subversion. Et quand bien même l'on conviendrait d'une création si peu débitrice des poncifs culturels, on rechignerait à la lucidité et à la vigilance de leurs auteurs. Car, ils ont ceci en commun d'être "fous" !

Depuis toujours, la société s'est protégée des individus réputés dangereux. Au même titre que la misère, les maladies vénériennes et la délinquance, la folie était perçue, jusqu'au début du XXe siècle, comme un objet de désordre qu'il convenait d'exclure, de cacher et de discipliner. L'isolement de l'aliéné, coupé de son cadre de vie et inséré dans l'ordre et le calme de l'existence asilaire, représentait la pièce maîtresse de l'arsenal thérapeutique des aliénistes. L'exclusion marquait ce qu'il y avait de mauvais dans l'homme et la société voyait ses frontières nettement dessinées.


Mais, comme le dit un personnage d'un film d'Angelopoulos, "ce sont les frontières qui rendent les hommes fous". La médicalisation et la classification de la folie, parallèlement au développement de la psychiatrie, ont amené le personnel soignant à revoir l'orientation de sa pratique et de son champ d'intervention. Aussi, à partir des années 1960, les psychiatres ont réfléchi sur une nécessaire désinstitutionnalisation du malade, sur la transformation des asiles et sur la possibilité de prévenir la maladie ou l'hospitalisation psychiatrique, en intervenant sur les origines.


De cette réflexion ont émergé, à la fin des années 1960, deux courants - complémentaires ou opposés - : celui de "psychothérapie institutionnelle" et celui de la "sectorisation psychiatrique" visant à travailler hors les murs. Aujourd'hi chaque secteur possède une équipe de psychiatres, d'infirmiers(ières), d'assistants(tes) sociaux(ales) et d'intervenants plasticiens. Désormais, artistes et malades mentaux se fréquentent dans le cadre d'ateliers. L'art porterait-il remède à la folie ?


La curiosité, l'intérêt scientifique s'étaient déjà tournés vers cet autre radical que semblait constituer les expressions propres de la maladie. On voulait considérer l'art des malades mentaux comme la parole de cette altérité, peut-être révélatrice de l'inconscient. On ne saurait certes isoler les oeuvres du rapport entre médecin et malade, ni de l'institution dans laquelle elles se situent. Mais, à en juger, d'une part par la créativité et la spontanéité dont font preuve les patients dans l'exécution de leurs ouvrages et, d'autre part, par la banalisation du déraisonnable dans l'art contemporain, il semblerait que les frontières entre ce qui était convenu d'appeler "art des fous" et ce que l'on déterminait comme oeuvre d'art n'aient plus lieu d'être.


Aussi, en dépit des études psycho-sociologiques de l'environnement psychiatrique, de l'approche sémiologique des oeuvres et des notions psychanalytiques venant complexifier et diversifier toute vision de l'art des malades mentaux, il nous est permis de douter de la valeur symptomatologique attribuée à de telles productions. Le diagnostic d'une maladie ou la mise en place d'une grille pathologique d'après les caractéristiques stylistiques d'un dessin représenterait un leurre.


Dans son Histoire de la folie à l'âge classique (1972), Michel Foucault écrivait : "Ruse et nouveau triomphe de la folie : ce monde qui croit la mesurer, la justifier par la psychologie, c'est devant elle qu'il doit se justifier, puisque dans son effort et ses débats, il se mesure à la démesure d'oeuvres comme celles de Nietzsche, de Van Gogh, d'Artaud. Et rien en lui, surtout pas ce qu'il peut connaître de la fole, ne l'assure que ces oeuvres de folie le justifient."


La manière purement clinique d'envisager la création plastique des malades mentaux ne peut qu'exclure la connaissance du fait artistique. Certains ne lisent-ils pas dans la vie et l'oeuvre de Van Gogh la schizophrénie, alors que d'autres le définissent par l'épilepsie ? De telles discussions nous obligent à revoir cette notion d'art des malades mentaux et à émettre quelques réserves. Car, souvenons-nous que Le Parmesan, Goya, Géricault ou Camille Claudel, figures majeures de l'histoire de l'art, ont présenté à un moment donné de leur existence des symptômes pathologiques. Quant aux oeuvres de Picasso, nous y verrions volontiers la manifestation des formes de la démence que celle du génie !

Aujourd'hui, les psychiatres décèlent les vertus thérapeutiques de l'acte créatif. A la notion d'art psychopathologique s'est substituée celle d'art-thérapie. L'activité artistique serait alors perçue comme une tentative, non pas de destruction des frontières, mais de construction d'une articulation entre les objets de la réalité extérieure et les structures internes. Mais au-delà de ces considérations, il importe de reconnaître le chant, la danse, le dessin, la peinture ou la sculpture - traduction de notre rapport au monde - comme des expressions communes aux hommes et d'admettre enfin la pulsion créatrice comme le propre de l'artiste, sain ou malade !

MG in ddo, trimestriel de la création contemporaine de l'eurorégion Nord, n°42, décembre 2000-Janvier-Février 2001.

 

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C
Celui qui pose la question que personne ne voulait entendre passe souvent pour un "fou". Cette forme de rejet n'est pas réservée aux artistes, l'animal social humain ayant besoin de conventions pour se sentir en "sécurité" et en même temps besoin de "mises en danger" pour appréhender son environnement et sa propre condition. Reste qu'on finit par construire des "communautés" où l'on préfère dormir tranquillement dans des "mensonges" plutôt que de questionner le concept de "vérité"......beaucoup de guillemets dans ce commentaire !
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N
Bon c'est bien, tu as raison de profiter de ce soleil qui nous manque tant en d'autres saisons.Travailles bien, bronzes bien et à bientôt.
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M
Bonjour Nadège,Oui, je vis toujours... J'ai délaisséle blog pour profiter du soleil et pour travailler sur les nouveaux programmes de lettres-histoire/géo. Je suis un maniaque de la pédagogie...Je vois que Bertrand est de retour. C'est bien.Merci de m'avoir attiré ici. J'en profite pour y mettre un nouvel article sur Christophe Colomb.MG
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N
Est-ce que tu existes encore ?
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D
Que je te signale L' acte "fou" d'Overbug, supprimant mon commentaire écrit avant celui-ci (qui n'est pas même passé alors qu'il le certifia "publié"), Overbug est vraiment dément-ciel !!!Je t'y demandais si tu as visité l'Hospice Comtesse où on y espose Hypnos ?.. Les oeuvres folles des surréalistes et de Fritz Lang .. Je suppose que oui... Bien à notre folie douce, on est tous le petit "fou" de quelqu"un (Bertrand, raisonnablement)Je vais quelque jour sur Lille où il fait , oui, vraiment chaud !!! ps : Acte fou ?.. Je rejoins mon exil breton, dès mardi....
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D
bONJOUR l'ami (corsé), je suppose que tu as vu l'expo  "Hypnos" à l'Hospice Comtesse d'où je reviens persuadé que le génie frôle la folie (Freud ajouta qu'il était un "fou normal", lui, comparé à ses patients !!! Jung en chercha l'âme humaine, mon sujet de prédilection depuis 1983....) Nous sommes tous le "fou" d'un autre (quiconque agit de façon étrange pour qui l'observe, de près ou de loin, sera taxé de "grand fou"...) Mon acte fou, présent : quitter Google..., non ?.. Le chemin de grande liberté détemine toujours un aspect de notre "Horla" , mon "bel ami" fort inconnu ...Michaux le fut à sa façon, Baudelaire et Rimbaud (tirant sur Verlaine qui a fui son épouse, elle-même folle de rage contre lui), Artaud que tu évoques, Céline et son verbe insolent, Le rire de Mozart, l'Oeuvre de Van Gogh (ou Gauguin quittant son poste de boursicoteur pour Pont-Aven) , Simenon et sa fille (qui se trucida pour lui), Le vent est "fou" aussi, parfois, et l'Oceano nox, et toute la Nature par ses "tremblements", ses séismes profonds que l'homme éprouve aussi, quand ses petits démons le torturent, l'engeance du sexe-drogue-argent rend fou qui y plonge jusqu'à la mort.... Bon, la sagesse est l'obvers de nos actes fous.... Je rejoins la Bretagne mardi (acte fou quand je connais mon exil, là-bas, ah ?.. Quoi ? Qui "nous" visite ?..) Bien à ta raison d'être, Bertrand-du-Tournaisis (Lillois quelques jours)
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M
Tu as raison Olivier... Freud affirmait que tout homme est soit névrosé, soit psychotique, soit pervers, soit mort. Et, "ne devient pas fou qui veut", pensait Lacan.MG 
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O
Schizophrènie, paranoïa, névrose... Tous les symptomes des diverses folies telles qu'elles sont déclarées par la société habitent chaque individu. Seulement, certains êtres plus fragiles ou plus sensibles ne peuvent contenir cette part de délire que nous possédons tous. Ils ne peuvent pas toujours ou ne souhaitent pas faire l'effort d'être acceptés par leur environnement, ce dernier les classant ainsi dans la rubrique "fous". Dans le livre de Harold Searles , "L'effort pour rendre l'autre fou" nous aprenons qu'un être humain ne peut devenir fou seul. Ce sont ces proches, sa famille, qui le rendent fou. L'individu élu a certes des aptitudes, ou nous dirons des faiblesses, qui le rendent propice à déraper, mais sans la relation perverse que construit l'entourage nul ne deviendrait fou.[…] Comme si provoquer la haine était plus sûr que solliciter l’amour lorsqu’il s’agit de n’être jamais rejeté ni abandonné !
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M
Je comprends ton propos Nadège... Pour certains, l'artiste est un marginal, trop libre de penser et de s'exprimer dans les normes, selon les conventions. En ce sens, il est anormal.J'ai publié cet article à l'époque où je travaillais avec des usagers de la psychiatrie... Je m'opposais à l'idée que l'on puisse déceler dans un travail plastique tous les signes qui permettraient de diagnostiquer une maladie. C'est pourquoi je prends l'exemple inverse : Picasso, chez qui les formes non conventionnelles pourraient être interprétées comme des manifestations de la folie. Merci pour ta pertinente intervention et l'exemple de la "souris verte" qui devrait courir dans l'herbe.MG
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N
Bon désolé c'est un peu toujours les mêmes qui postent mais c'est de ta faute tu proposes des articles intéressants.L'idée que l'artiste de manière générale est fou est très ancrée dans les esprits, combien de fois ai-je entendu face à un comportement étrange ou peu banal d'un esprit créatif  " ah! mais c'est normal, c'est un (une) artiste.Voilà un monde Platonicien bien organisé, ou chacun occupe la place qu'il doit occuper. Pour ma part je trouve ce genre de pensées suspectes et bien pratiques pour celui qui l'énonce.Je ne reviendrai pas sur le contenu de ton article qui est très complet et te raconterai une petite anecdote.Dernièrement j'ai travaillé avec mes élèves sur le thème de l'enfance, l'une d'elles avait dessiné une souris verte au dessus d'un berceaux, elle la trouvait effrayante (elle n'avait rien d'effrayant). La seule idée de l'avoir placé ainsi en agrandissant sa taille, elle se voyait déjà sombrer dans la folie... je l'ai rassuré en disant que tout allait bien... Pas facile de gagner sa liberté de penser me suis-je dis.
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