L'acte d'enseigner
J’ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres.
Jean-Paul Sartre, Les Mots, 1964.
Je suis né le jour où j’ai su lire, entre des illustrations et des mots entassés sur des pages. J’ai alors très vite compris que la lecture et l’écriture seraient des moyens de dépasser ma condition sociale d’origine et de me forger une identité. Au sortir de l’université, j’ai souhaité transmettre ce que les ouvrages m’offraient en soumettant mes services aux institutions muséales. Cependant, les publications et les conférences que je tenais m’éloignaient de ma vocation première : instruire en vue d’une meilleure intégration sociale des individus. Je décidais donc de me réorienter. A la fin de l’année 1999, je donnais mes premiers cours…
Durant huit ans, j’ai enchaîné les contrats de professeur de lettres-histoire, assuré chaque suppléance dans l’immédiat et sillonné la région Nord-Pas de Calais, exerçant dans des établissements que seule la désignation «lycée professionnel» rapproche. Car, entre un lycée situé dans le bassin minier du Pas-de-Calais et un établissement de la métropole lilloise, un «bahut» de campagne et une «usine» urbaine, un L.P. classé en zone sensible et un autre qui ne l’est pas, entre un lycée professionnel préparant aux métiers de l’industrie et une structure scolaire dispensant des formations artisanales, les attentes et les besoins tant des enseignants et que des apprenants diffèrent radicalement. Durant huit années, j’ai dû m’adapter constamment à ces publics hétérogènes. Mais la précarité de mon statut et l’impossibilité de faire du «constructif» à long terme avec les élèves que j’avais en charge m’obligèrent à retourner sur les bancs universitaires, à «replonger le nez» dans les livres scientifiques, afin de préparer au mieux le concours d’enseignant.
L’expérience acquise en tant que professeur contractuel m’a conforté dans l’idée de ce que je recherchais depuis toujours : contribuer à l’éducation des jeunes et les former en vue de leur insertion sociale et professionnelle. L’obtention à l’interne du concours de professeur de lettres-histoire en lycée professionnel fut, après l’année de sacrifice qu’est la préparation aux épreuves, une délivrance et presque une fin en soi. C’est ainsi que je devins professeur stagiaire en situation !
En septembre 2008, ma surprise fut double. D’abord, je retrouvais le lycée dans lequel j’avais déjà exercé en 2002-2003. Mon intégration et mon adaptation au sein des équipes pédagogiques - le personnel enseignant étant quasiment inchangé en six ans - ont donc été faciles et rapides. Ensuite, j’apprenais qu’à mon poste à temps complet auquel s’ajoutaient déjà une heure supplémentaire hebdomadaire à l‘année (H.S.A.) et deux heures de trajet par jour, se greffaient un volume de 150 heures de formation à l’I.U.F.M. et la rédaction d’un dossier de Travaux d’Etudes Personnels ! L’année scolaire qui s’annonçait allait être fastidieuse…
Au moment même où j’écris ces pages, j’éprouve encore cette impression d’être constamment débordé. Néanmoins, avec un tant soit peu de recul, je dois reconnaître qu’au-delà de la fatigue et du peu de temps dont je dispose pour être avec ma famille - je suis père de deux enfants -, les conseils prodigués par mon tuteur à qui je rends compte de toutes mes séances ainsi que les méthodes de travail à acquérir dispensées par les formateurs de l’I.U.F.M. m’ont permis de parfaire mes connaissances, mon savoir-faire, mon savoir être et de les transmettre. Car il est vrai que durant mes années de professeur contractuel, j’étais livré à moi-même, gérant du mieux que je pouvais les classes que l’on me confiait et remplissant mon rôle d’enseignant au jour le jour.
Transmettre des savoirs
Si certaines formations proposées au sein de l’I.U.F.M. durant l’année scolaire ont consisté à rafraîchir et à actualiser mes connaissances disciplinaires - je dois reconnaître qu’en géographie la formation a surtout contribué à combler mes lacunes -, et à me donner accès régulièrement aux évolutions des savoirs, d’autres ont participé au transfert de mes compétences, à partir d’exemples de savoirs, d’une discipline à l’autre mais aussi d‘un niveau scolaire à l‘autre. Ainsi, la formation générale professionnelle dispensée sous la forme «massée» (deux fois une semaine de trente heures) s’est appuyée essentiellement sur l’échange entre des professeurs stagiaires en situation de l’enseignement général et professionnel. Elle a permis à la fois de répondre aux questions professionnelles, d’approfondir de manière critique les savoirs de référence convoqués par les situations d’apprentissages mises en place, de rompre mon isolement (j’étais le seul professeur de lettres-histoire !) et de contribuer à parfaire mon identité professionnelle. D’une manière générale, la formation institutionnelle a été une formation «réflexive» sur la reproduction de gestes professionnels que j’ai pu observer aussi bien chez les formateurs que chez mon tuteur bien plus expérimenté que moi, et sur des savoirs normatifs que sur l’analyse de situations pédagogiques vécues par l‘ensemble des stagiaires.
En privilégiant mon expérience d’ancien contractuel et de sujet en formation ainsi que les échanges autour de l’expérience de chaque professeur stagiaire, l’I.U.F.M. m’a permis d’intégrer une diversité des apports, tant théoriques que pratiques et d’en faire des outils permettant les apprentissages et le développement des élèves dont j’avais la charge cette année. L’entraînement à l’analyse des situations pédagogiques, des dispositifs didactiques et des processus d’apprentissages des élèves de lycée professionnel, qui me faisaient défaut jusque-là, a été déterminant et bénéfique à ma formation d’enseignant.
Sur le terrain, ma principale difficulté était de surmonter la méfiance des élèves vis-à-vis des activités scolaires. Ces jeunes arrivants - des entrants BEP -, marqués par les échecs, souffraient d’un manque de confiance et d’estime de soi qui engendraient la dépendance à autrui et le manque d’autonomie. Ils se croyaient démunis de connaissances leur permettrant d’accomplir la tâche demandée. Ils s’estimaient incapables d’apprendre et d’enrichir leur savoir. J’ai donc consacré du temps à leur faire accepter l’idée que tout le monde a des connaissances et du talent et que leur problème majeur était leur ignorance de ce savoir. Une fois la confiance mutuelle gagnée, des signes de réussite ont commencé à se manifester : une participation plus active en cours d’histoire-géographie chez les filles de la filière bio-service, une volonté d’inscrire au tableau devant le groupe des éléments de réponses personnelles chez les garçons inscrits en maintenance, une motivation renforcée devenant un stimulant pour continuer les travaux entrepris, notamment à l’écrit, dans ces matières générales peu captivantes pour ces élèves de lycée professionnel que sont les miennes.
Transmettre des savoir-faire
L’acte d’enseigner soulève bien des interrogations quant à la mise en place de programmes vieillissants et aux méthodes pédagogiques à choisir. Là encore, la formation institutionnelle m’a permis de gagner un peu de temps sur l’orientation à suivre et la démarche générale à adopter. Mais c’est essentiellement mon tuteur qui, par sa rigueur et sa patience, m’a transmis ce que je n’avais jamais acquis les années précédentes dans la façon de bâtir une séquence et de donner sens à ce qui constitue une séance. Il est celui qui m’a aidé à organiser mes idées en les structurant au moyen de questions réfléchies, pertinentes et adaptées aux élèves. Sa présence dans mes cours et nos heures de concertation m’ont rendu plus efficace dans l’élaboration de séquences grâce à une meilleure articulation des séances entre elles et à un questionnement plus affiné. La difficulté majeure d’enseigner en lycée professionnel ne réside-t-elle pas dans la capacité de «faire simple» ?
La question des savoir-faire m’a occupé toute l’année scolaire et ce sont les lectures d’ouvrages pédagogiques empruntés au C.D.I. qui m’ont apporté des réponses. Elle est fondamentale dans l’enseignement en lycée professionnel. Face à des élèves peu ou pas motivés, il m’importait de trouver des moyens pour les aider à ne pas «décrocher» complètement, à vivre pleinement les cours et à être acteur de leurs apprentissages. Dans un premier temps, je me suis efforcé de concevoir une pédagogie de projet qui soit à la portée de mes élèves : savoir parler de soi devant un groupe, réaliser la quatrième de couverture d’une nouvelle lue en classe, se lancer dans une écriture longue, débattre sur une problématique…
Il a également fallu mettre en place des dispositifs, des pratiques qui vont dans le sens de la motivation de tous et jouer sur plusieurs registres en agissant sur les contenus, sur les formes de travail et sur l’évaluation : donner des objectifs clairs, tenir compte des intérêts des élèves, fixer des défis à relever, faire réfléchir les élèves sur les stratégies qu’ils utilisent lorsqu’ils font un travail, formuler des questions qui n’attendent que des réponses personnelles, faire travailler les élèves en groupes avec des objectifs différents, envisager des évaluations en fonction des compétences à acquérir, donner l’occasion aux élèves de s’évaluer ou de définir des critères d’évaluation et de les appliquer dans des productions, amener les élèves à remédier aux erreurs des camarades plus faibles, faire comprendre que l‘erreur est nécessaire et formatrice…
Enseigner en lycée professionnel, c’est donc créer des conditions qui poussent à agir, c’est stimuler, donner du mouvement et donner du sens dans ce que les élèves entreprennent. Pour cela, il était nécessaire de prendre en compte leurs besoins et de mettre en place des savoir-faire appropriés et efficaces. Car, en définitive, une connaissance n’a pas de sens en elle-même : ce sont bien l’enseignant et les apprenants qui font du sens avec un contenu grâce à des moyens, à des outils, à des savoir-faire !
Transmettre un savoir être
Les textes prescriptifs, tel le Bulletin Officiel de l’Education Nationale du 29 mai 1997, assignent, comme principale mission de l’enseignant, la transmission des valeurs de la République. Si, par expérience mais aussi lors de la formation générale professionnelle, j’ai pu constater que le but ultime des collègues de l’enseignement professionnel est de préparer les apprenants à être des «professionnels», je suis conscient que mon premier objectif en tant que professeur de lettres-histoire-géographie consiste à faire comprendre aux élèves le sens et la portée des valeurs institutionnelles et de les amener au plein exercice de la citoyenneté. C’est pour cette raison que les activités que je propose dans les trois matières concourent à développer chez ces adolescents leur esprit critique par le biais de l‘argumentation, leur autonomie dans la réalisation de tâches et leur projet personnel en fonction de leurs attentes et de leurs besoins.
Cette éducation à la citoyenneté repose sur la pleine connaissance du public que l’on confie à l‘enseignant. Dans ce domaine, je pense que l’expérience et la lecture d’ouvrages spécialisés sur le sujet prévalent sur la formation. Au-delà des idées reçues sur une nécessaire spécificité de l’éducation à la citoyenneté en ZEP - le lycée dans lequel j'exerce étant classé en zone sensible -, il convient de rappeler que l’adolescence est une période de transformation psychologique, physiologique et relationnelle et de construction identitaire. Transition entre l’enfance et l’âge adulte, l’adolescence se caractérise par des espoirs sur les plans affectifs, sexuels et professionnels et par des interrogations sur ses propres valeurs. Il m’importe donc, en tant qu’enseignant mais aussi en tant qu’adulte, d’apporter à ces «enfultes» (enfant/adulte) des réponses et de travailler avant tout sur la valorisation et l’estime de soi.
Comme chaque début d’année scolaire, il convenait encore, afin d’instaurer un climat de confiance et un cadre propice au travail, d’établir un contrat entre mes élèves et moi dans lequel les dispositions du règlement intérieur de l’établissement n’étaient pas négociables. Evidemment, je me dois le premier de donner l’image d’une personne motivée, qui aime son métier, qui continue à chercher et à apprendre, qui respecte le legs du passé et accueille la nouveauté. Il me faut également montrer que je crois en la réussite de chacun et encourager, valoriser les efforts fournis et les acquis de mes élèves. En contre partie, mes élèves doivent s’engager à faire preuve d’un minimum de rigueur et d’organisation aussi bien dans la tenue du classeur - outil de base dans l’enseignement général - que dans l’attitude à adopter en classe (écouter ses camarades, respecter l’opinion d’autrui, prendre la parole en la demandant…).
Ces principes - démocratiques et républicains - que je respecte et que je fais respecter sont fondamentaux dans la transmission du savoir être dans la mesure où les règles délimitent le cadre des apprentissages et précisent le rôle de chacun. Ainsi, mes élèves trouvent leur place dans la classe et peuvent s’exprimer tout en étant entendus et respectés. De plus, la sanction qui découle d’un manquement aux dispositions de cette «charte de vie de classe» respecte l’individualisation et n’est, par conséquent, rarement ressentie par mes élèves comme une injustice.
S’il est vrai que je dispose d’un savoir, je ne sais pas tout. Les séances de formation disciplinaire et générale professionnelle, les apports pratiques de mon tuteur et les lectures ont indéniablement enrichi l’expérience que j’ai acquise en tant qu’enseignant depuis près d’une dizaine d’années. Et, si mes cours de français, d’histoire ou de géographie s’avèrent efficaces pour certaines classes ou pour certains individus, ils ne fonctionnent pas pour autant avec d’autres classes ou d’autres profils de même niveau. Chaque préparation et chaque mise en œuvre de séances nécessitent ainsi une incessante adaptation aux élèves qui les reçoivent, en tenant compte des problèmes, des questions, du vécu, des envies et des besoins conscients ou non de la personne apprenant. La richesse de ce métier s’appuie donc sur cette volonté et cette faculté de donner du sens en s’interrogeant sur ce que l’on veut faire et pourquoi on veut le faire.
Je crois que cette année de formation qui m’a paru longue et lourde, m’a permis de remédier à ce qui faisait défaut dans l’exercice de ma fonction : anticiper les situations délicates afin de répondre aux besoins du plus grand nombre, adapter et simplifier mes propos en vue de les rendre accessibles, diversifier les outils et les méthodes pédagogiques de manière à présenter des séances pertinentes et captivantes.
J’ai toujours envisagé l’enseignement comme un échange entre mes élèves et moi. Il m’arrive de leur rappeler qu’ils m’apportent autant qu’ils reçoivent dans la construction de savoirs, de savoir-faire et du savoir être. J’ose espérer que leur présence dans mes cours a contribué à leur développement et, pourquoi pas, à leur épanouissement personnel.
MG "Document de synthèse" in Travaux d'Etudes Personnels, année scolaire 2008-2009, IUFM Nord-Pas de Calais, mai 2009.
En souvenir de mes collègues de l'annus mirabilis 2008-2009.
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