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Kopierre : une légende urbaine

Publié le par MG

Alexandre Consil en tenue de tambour-major - Illustration de Simons pour Julien Lagrange.

Alexandre Consil en tenue de tambour-major - Illustration de Simons pour Julien Lagrange.

Aide-forgeron devenu tambour-major au 38e Régiment d'infanterie, Alexandre Joseph Consil (Auberchicourt, 1834 - Aniche, 1909) était de son vivant un célibataire anonyme parmi ses concitoyens. C'est à la suite d'une querelle de clochers entre la Cité de Gayant et la capitale française du verre que le verrier, amuseur et poète patoisant Jean-Baptiste Bourlon (Auberchicourt, 1859 - Aniche, 1919) décida d'exhumer la personnalité de son camarade défunt pour l'ériger en une gigantesque mascotte municipale. Retenant pour désigner son Géant le sobriquet de "Kopierre", qu'affublaient les compagnons de travail de Consil quand il criait que le verre était chaud, Bourlon donnait ainsi naissance à une légende anichoise.

Dans un article publié dans l'hebdomadaire local Le Républicain d'Aniche & environs la veille de la Première Guerre mondiale, Henri Malengé écrivit ceci : « Kopierre, avant de partir rejoindre dans l’artillerie, était daubeur à la forge du chantier des Mines d’Aniche. C’est lui qui faisait alors l’office du marteau pilon et, tel un cyclope, il frappait si fort, si fort que les enclumes ne résistaient pas toujours à ses formidables coups.

Son maître maréchal s’appelait Pierre.

Alexandre Consil, puisqu’il faut l’appeler par son nom, avait le bras long, chacun sait ça. Il tirait sur le soufflet pour attiser le feu et chauffer la pièce à travailler. Quand ce morceau de fer était rougi à point, le Grand Alexandre, qui n’était pas patient pour deux sous, criait en se démenant comme un diable qui retourne sur le gril un mécréant damné : Ch’est caud, Pierre ! Ch’est caud, Pierre ! (…) Et sa voix de stentor allait se répercuter en écho jusqu’au bout des immenses ateliers. De là ce surnom qui lui est resté et qui grâce à cheuss qui z’y ont pinsé sera inscrit au panthéon de l’histoire.

Mais, nous dira-t-on, pourquoi ne pas écrire ce nom suivant son étymologie ? Pourquoi Kopierre et non pas Caupierre ? (…) Quand le Comité Kopierre s’est définitivement constitué pour le rappeler aux autres générations, c’est-à-dire le 11 mai 1911, il a mis cette grave et troublante question à l’ordre du jour.

(…) Jean-Baptiste Bourlon scruta les paperasses et les archives, il fit des recherches les plus délicates et les plus consciencieuses et il revint avec cette affirmation indiscutable que, de tous temps et en tous lieux on avait écrit Kopierre avec un K et un O.

(…) L’orthographe était donc acceptée selon la tradition et non suivant l’étymologie pure. Qui pourrait s’en plaindre ? Les grincheux ? On s’en moque ! Kopierre ? Allons donc ! Notre géant était de ces gens qui affirment que dans cette vallée de misères il vaut mieux de l’appétit que de l’orthographe. »

Cependant, il ne paraît pas impossible que le « ko » fasse référence au « shako », couvre-chef du sergent major qui est celui du géant (probable origine des Cô du carnaval de Dunkerque) et alors « Pierre » pourrait être issu de la carrière militaire d’Alexandre-Joseph.

Le géant Kopierre traversant le passage à niveau de l’actuel boulevard Drion à Aniche. Photo datant de 1911, 1912 ou 1913.

Le géant Kopierre traversant le passage à niveau de l’actuel boulevard Drion à Aniche. Photo datant de 1911, 1912 ou 1913.

La renommée de Kopierre allait progressivement s'appuyer sur certains éléments et faits à la véracité plus que discutable liés à sa taille et à sa force exceptionnelles. Quelques anciens attestaient encore récemment de l'existence d'un sabot de taille 58 suspendu au mur d'une maison sise rue de Flines à Auberchicourt. Malheureusement, un bombardement en 1940 a anéanti cette relique. On racontait même que le grand Consil se tenait dans un trou de quelques dizaines de centimètres le jour où il posa avec des membres de sa famille pour la seule photographie (1906) qui nous soit parvenue. Julien Lagrange (1902-1983), conseiller municipal qui rétablit à Aniche la fête folklorique de Kopierre en 1954, avait également évoqué la dimension impressionnante des ossements de Consil sans jamais les avoir vus.

D'autres anecdotes ont traversé le siècle passé et continuent d'alimenter le mythe du géant. Aujourd'hui encore, l'on dit qu'Alexandre Consil était capable de soulever une enclume, d'allumer un cigare au manchon d'un bec de gaz, de ne pouvoir dormir que dans un lit fait à sa mesure - il accusait, paraît-il, la taille de 2,10 m à une époque où les hommes ne dépassaient guère 1,65 m -, de lancer sa canne de tambour-major de la Garde impériale de Napoléon III plus haut que la Porte Saint-Denis quand il défilait à Paris, d'obtenir de Guillaume 1er, roi de Prusse impressionné par cet immense soldat, une double ration alimentaire durant toute sa captivité en 1870... Des rumeurs soulignent enfin sa serviabilité : tel Saint-Christophe, il aidait les gens en difficulté à traverser le boulevard que les orages transformaient en torrent ou encore, tel Quasimodo, il sonnait les cloches de l'église Saint-Martin d'Aniche.

Le wikipédien Serge Ottaviani, auberchicourtois lui aussi passionné par l'histoire d'Aniche, n'est donc pas le premier à développer et entretenir des légendes urbaines locales. Jean-Baptiste Bourlon et Julien Lagrange ont, comme on vient de le montrer, participé à diffuser dans l'esprit des gens de petites histoires qui, chaque dernier dimanche de juin depuis 65 années1, défilent dans les rues sous la forme d'un Géant devenu l'emblème de la ville d'Aniche.

 

1. Les festivités de Kopierre débutent en 1911. Interrompues par la Première Guerre mondiale, elles sont reprises en 1954.

 

MG - 29 juin 2016. D'après le fascicule Not' Géant d'Aniche, Kopierre publié par la Société d'Histoire d'Aniche en octobre 1994.

Alexandre Consil dit "Kopierre" lançant sa canne de tambour-major plus haut que la Porte Saint-Denis à Paris - Illustration conservée à la Société d'histoire d'Aniche.

Alexandre Consil dit "Kopierre" lançant sa canne de tambour-major plus haut que la Porte Saint-Denis à Paris - Illustration conservée à la Société d'histoire d'Aniche.

Alexandre Joseph Consil dit "Kopierre" âgé de 72 ans et des membres de sa famille. Photographie datant de 1906 et conservée à la Société d'Histoire d'Aniche.

Alexandre Joseph Consil dit "Kopierre" âgé de 72 ans et des membres de sa famille. Photographie datant de 1906 et conservée à la Société d'Histoire d'Aniche.

Jean-Baptiste Bourlon et son Géant Kopierre en 1911 - Carte postale conservée à la Société d'Histoire d'Aniche.

Jean-Baptiste Bourlon et son Géant Kopierre en 1911 - Carte postale conservée à la Société d'Histoire d'Aniche.

Julien Lagrange prononçant un discours patoisant au balcon de l'Hôtel de Ville d'Aniche lors du défilé Kopierre en 1959. Photographie conservée à la Société d'Histoire d'Aniche.

Julien Lagrange prononçant un discours patoisant au balcon de l'Hôtel de Ville d'Aniche lors du défilé Kopierre en 1959. Photographie conservée à la Société d'Histoire d'Aniche.

Gravure de René De Cooman représentant le Géant Kopierre et datant des années 1950.

Gravure de René De Cooman représentant le Géant Kopierre et datant des années 1950.

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A
Bonjour. Merci beaucoup pour votre billet , dans lequel j'ai découvert plusieurs précisions. A bientôt.
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M
Bonjour je suis la soeur de JP MOUTON, c'est mui qui à fait l'exhumation de kOPIERRE , il à également gravé la dalle sui se trouve au cimetière du sud malheureusement il ne se souvient <br /> ent plus de la date exacte de l'exhumation, sauf que celle ci sait faite entre 60 - 65
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M
Bonjour et meilleurs voeux pour 2017.<br /> Je vous remercie de m'informer du travail de votre frère. Que pourrait-il ajouter quant à ce transfert des restes de Consil (taille des ossements, restes de vêtements, conditions d'exhumation...) ? Pourquoi ne trouve-t-on pas de traces écrites mentionnant ce transfert ?<br /> Cordialement.
M
Bonjour je suis la soeur de JP MOUTON, c'est mui qui à fait l'exhumation de kOPIERRE , il à également gravé la dalle sui se trouve au cimetière du sud malheureusement il ne se souvient <br /> ent plus de la date exacte de l'exhumation, sauf que celle ci sait faite entre 60 - 65
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D
MG, grâce à vos précieuses publications , j'apprends, en lisant votre page sur le cimetière du centre d'Aniche, que le cimetière du sud date de 1921 et que la sépulture d'Alexandre Consil (1834-1909) dit « Kopierre » a été transférée au pied du Monument aux Morts de la Guerre de 1870.<br /> Il doit bien y avoir une trace ce transfert quelque part dans les archives non ? ça devrait être avant 73, mais si vous n'avez rien trouvé....<br /> Pour information, j'ai déménagé fin 1970 de la rue où mon voisin m'avait relaté cette anecdote.<br /> Je ne vous ai pas tout dit. Il y a surtout un propos croustillant en patois relaté également par ce voisin et attribué au marbrier funéraire Mouton, mais comme ce n'est qu'une rumeur je ne la citerai pas sur un blog par respect de la mémoire de ce monsieur.<br /> Il me vient à l'esprit que Julien Lagrange a peut-être lui-même entendu parler des ossements par une autre personne..... qui ne les auraient jamais vus non plus !<br /> Ça restera alors dans la légende de Kopierre qui, soi-disant, lançait sa canne bien au-dessus de la porte de St Denis !
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D
J'y suis allé il y a six ans déjà (juin 2010), accueilli par Roger Consil et la fille de Julien Lagrange, qui sont disparus depuis. Didier Delrot que j'ai eu comme prof à Basuyaux n'y était malheureusement pas ce jour là. <br /> J'y ai découvert des trésors, des photos où parmi lesquelles j'ai reconnu mon grand-père paternel du temps de l'amicale laïque, des objets dont une canne de tambour major en verre soufflé il y a un siècle venant de mon grand père maternel quand il était gamin de souffleur à la verrerie d'en haut, un panneau sur la résurrection de Kopierre en 1954 avec mon papa devant la tête du géant, etc., mais beaucoup pour ne pas dire la plupart étaient dans des gros livres comme des albums de famille, élaborés soigneusement avec patience au ciseau et à la colle, et titrés à la main et stockés comme des bijoux le sont dans des coffres.<br /> Roger Consil sortait des rayons des documents pouvant m'intéresser et dont l'index des emplacements était sa mémoire.<br /> Je me suis dit quel dommage, à notre du tout numérique et de l'Internet, qu'un travail de tant d'années ne soit accessible qu'aux initiés.<br /> Un double des clés du coffre ne vous faciliterait-il pas les choses ?<br /> Bien à vous<br /> Didier
M
Bonjour Didier. Je vous remercie de l'intérêt que vous portez aux publications de ce site. Je gagnerai du temps si la Société d'Histoire d'Aniche ouvrait plus souvent... Aniche s'est construite sur un grand nombre de légendes. C'est fascinant.<br /> Cordialement, MG.
D
Ouahh le méchant quiproquo !<br /> L'inconscient m'a réveillé cette nuit suite à votre commentaire sur l'autre blog ("je vous tiendrez au courant de la date etc.)<br /> J'en déduis que j'ai mal compris votre première réponse, peut-être sous l'émotion à la lecture de celle-ci qui m'a fait l'effet d'une gifle, comme sur les bancs de l'école de mon temps.<br /> Je suis resté dans l'idée que vous aviez retrouvé des traces indiquant un transfert en 1973, et comme vous ne m'avez pas repris, peut-être pour éviter de m'infliger une deuxième gifle, je suis resté avec cette idée erronée.<br /> Si c'est le cas tout s'explique et croyez bien que suis pétri de confusion.
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D
J'y suis allé il y a six ans déjà (juin 2010), accueilli par Roger Consil et la fille de Julien Lagrange, qui sont disparus depuis. Didier Delrot que j'ai eu comme prof à Basuyaux n'y était malheureusement pas ce jour là. <br /> J'y ai découvert des trésors, des photos où parmi lesquelles j'ai reconnu mon grand-père paternel du temps de l'amicale laïque, des objets dont une canne de tambour major en verre soufflé il y a un siècle venant de mon grand père maternel quand il était gamin de souffleur à la verrerie d'en haut, un panneau sur la résurrection de Kopierre en 1954 avec mon papa devant la tête du géant, etc., mais beaucoup pour ne pas dire la plupart étaient dans des gros livres comme des albums de famille, élaborés soigneusement avec patience au ciseau et à la colle, et titrés à la main et stockés comme des bijoux le sont dans des coffres.<br /> Roger Consil sortait des rayons des documents pouvant m'intéresser et dont l'index des emplacements était sa mémoire.<br /> Je me suis dit quel dommage, à notre du tout numérique et de l'Internet, qu'un travail de tant d'années ne soit accessible qu'aux initiés.<br /> Un double des clés du coffre ne vous faciliterait-il pas les choses ?<br /> Bien à vous<br /> Didier
D
Bien entendu Aim Jé, et c'est ce que je m'étais dit, mais voyez-vous, c'est le sens de cette reformulation, venant après notre échange de commentaires, qui m'a plus que surpris :-)
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M
Bonjour Didier.<br /> Vous avez probablement raison : Lagrange a peut-être vu les ossements. Je ne connais toujours pas la date précise du transfert qui donnera la forme définitive de mon article. L'avantage d'une publication numérique est sa reformulation a tout moment. En fonction des recherches, mes textes changent, se précisent. Merci pour vos apports.
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D
Julien Lagrange a peut-être effectivement vu les ossements de Kopierre, car dans les années 60 (entre 65 et 68), j'ai entendu parler de l'exhumation du géant - pour le transférer au nouveau cimetière ? - et j'ai entendu aussi que le marbrier Mouton, père du tambour major à Aniche à la même époque, aurait mentionné des ossements impressionnants de par leur taille.
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D
En relisant l'article je vois que Julien Lagrange est décédé en 1983, ce qui répond à la question.<br /> Peut-être que je me trompe à nouveau mais il me semblait avoir lu initialement la forme interrogative : "mais les a-t-il seulement vu ?" alors que je lis aujourd'hui la forme affirmative "sans jamais les avoirs vus". <br /> Je suis inquiet s'il s'agit d'une nouvelle erreur de mémoire.
D
Quelle maladresse ai-je commise ? <br /> Oui, monsieur MG, je suis tout disposé à apprendre.<br /> Ce souvenir, à l'horizon d'un demi-siècle, est suffisamment lointain pour que j'aie pu me tromper, c'est pourquoi j'ai employé le conditionnel et fait référence à de simples ouï-dire, en partie vérifiables effectivement grâce aux archives municipales, archives que vous épluchez comme vous me l'apprenez, bien que je le présumais, vous sachant passionné d'histoire locale et probablement membre actif de la société du même nom.<br /> Vous m'apprenez aussi qu'il y a bien eu transfert des ossements de "Kopierre", mais en 73.<br /> Je me suis bien "planté" sur l'estimation temporelle et j'en prends acte, quoique surpris, la mémoire des archives prévalant bien sûr sans conteste.<br /> Julien Lagrange a-t-il pu être présent ou était-il déjà décédé ? car c'était là, finalement, le sens de mon interrogation.<br /> Quant au propos prêté à Mr Mouton, l'un des fils ou Mr Carpentier qui avait repris la marbrerie et qui résiderait toujours à Aniche, en sait peut-être plus.<br /> L'histoire ne s'écrit pas sur des rumeurs mais la mémoire vivante est parfois utile, malgré ses approximations.<br /> Bien à vous, et toujours prêt à apprendre :-)
M
M. De Cooman, apprenez que nous épluchons les délibérations municipales et, aucune mention du transfert des ossements de Consil (notre Kopierre) n'est apparue avant 1973. Affaire à suivre...