J'aurais voulu être l'Artiste
J'aurais voulu être un artiste pour faire parler un tableau...
Je n'aurais retenu, dans mon oeuvre, que la peinture comme matériau et comme sujet. J'aurais rejeté la moindre perspective et la moindre illusion, le moindre élément
figuratif et la moindre narration. J'aurais renoncé à tout discours formel et subjectif. Mes tableaux auraient eu ainsi leur propre langage et chacune de leurs parties aurait
constitué les prémisses d'un nouveau type de syllogisme et l'ossature d'une rhétorique intelligible et harmonieuse pour celui qui sait écouter.
J'aurais voulu être un artiste pour définir le tableau... J'aurais appris qu'il n'est qu'une surface-plan délimitée et "recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées"1.
J'aurais vu en lui l'empreinte matérielle de la poïétique et ne l'aurais envisagé que comme le support restrictif de mon expression plastique. Avec des barbouillages, des taches, des
coulures et des voiles de couleur, j'aurais su alors malmener la syntaxe picturale dominée par cette fiction de la planéité et de la cohérence pour laisser s'échapper
le lapsus, le délire et l'impensable.
J'aurais voulu être l'artiste dont les tableaux ne sombrent pas dans l'anecdote, le bavardage et le déjà dit. J'aurais compris qu'il n'y a sans doute plus rien à peindre. Ma
peinture déduite de toute représentation n'aurait donné à voir qu'elle-même comme geste, boursouflure, accumulation, concrétion et imprégnation de couleurs. Et par cette seule
exagération, j'aurais pu élaborer un vocabulaire pictural sans redite, ni trop dit, à la portée de tout entendement.
M. G. 06 janvier 2009.
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1 « Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est
essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » (Maurice Denis,
« Définition du Néo-traditionalisme », Revue Art et Critique, 30 août 1890).