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Le dessein lillois d'Ernest Pignon-Ernest

Publié le par MG

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La renommée internationale du Palais des Beaux-Arts de Lille repose en partie sur la prestigieuse collection Wicar, du nom du peintre et collectionneur qui légua en 1834 à sa ville natale plus de mille trois cents dessins de maîtres du XVe au XVIIIe siècle. Pour commémorer les 250 ans de la naissance de cet artiste légateur, près de deux cents feuilles de Raphaël, Botticelli, Michel-Ange, Pontormo, Cranach, Dürer, Holbein, Poussin, entre autres, sont montrées au public du 12 avril au 22 juillet. Pour mieux appréhender cette présentation des « Traits de génie » florentins, flamands, hollandais, allemands et français, le musée lillois y a associé des créations du plasticien niçois Ernest Pignon-Ernest.

 

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C'est probablement parce qu'il apparaît comme un tracé - expression la plus apte à saisir spontanément le monde environnant – sur une surface, que le dessin renvoie souvent à l'idée d'ébauche, de préambule aux domaines plus ambitieux que seraient la peinture, la sculpture ou l'architecture. Les tâtonnements, les repentirs, les réajustements inscrits sur la feuille se lisent à tort comme les traces d'une errance exploratoire autour d'un sujet difficilement déterminé. En réalité, le dessin exige davantage d'attention que la peinture. Intégrées à la scénographie sous forme d'installation, les figures esquissées à taille réelle au fusain et à l'encre d'Ernest Pignon-Ernest invitent le regard à (re)découvrir le geste des artistes qui, entre observation et invention, transcrivent sur la feuille une forme capable de susciter l'émotion.

 

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Aussi, la lecture des dessins de Pignon-Ernest comparativement à ceux des maîtres anciens permet d'apprécier autant la délicatesse, le raffinement, la précision que la nervosité et l'inachèvement de ces lignes qui, sur papier, donnent vie aux formes qu'elles suggèrent. Si certaines œuvres de Pignon-Ernest exposées au musée de Lille datent de quelques années, d'autres ont été réalisées à partir d'un choix de planches du legs Wicar afin d'en souligner l'étude, la technique ou le détail. En affichant grands formats toutes les étapes nécessaires à la création, Ernest Pignon-Ernest révèle les secrets de la composition graphique. « J'aimerais », dit-il en regardant quelques dessins florentins du XVIe siècle, « retrouver en grand la dynamique de l'ébauche pour hériter de sa simplicité. »

 

Son intervention au sein de l'exposition « Traits de génie » ne se réduit pas pour autant à la reproduction fidèle de dessins anciens. S'inspirant d'un motif, Ernest Pignon-Ernest interprète ses « modèles » tantôt par la retenue du geste, tantôt par l'ajout d'un détail inexistant sur l'ébauche d'origine. Des ressassements, recommencements, traces de gommage et de doigts jusqu'à l'assurance du trait, le rendu de la lumière et la maîtrise de la volumétrie des corps, chaque application sur la feuille participe à l'imprégnation de la matière sur le support, à l'incarnation du dessin par le papier. La vivacité du tracé qui traduit l'expression la plus juste et l'invention d'une partie absente sur le croquis d'un maître de la Renaissance témoignent ainsi chez Pignon-Ernest d'une réalisation qui transcende autant qu'elle transfigure le dessin des siècles précédents.

 

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C'est la seconde fois, après l'exposition en 2007 au musée Ingres de Montauban qu'Ernest Pignon-Ernest est sollicité pour ses dessins et non pour son travail dans l'espace. Connu essentiellement pour son street art, le dessinateur niçois nous surprend à Lille par le dialogue qu'instaure son art au contact de celui de ses prédécesseurs. Véritable work in progress délivrant la structure et l'organisation de l'image en train de se faire, ses dessins grandeur nature accusent un effet de loupe par rapport aux créations graphiques des siècles antérieurs. Cette exploration du trait, de la matière, de la figure humaine est magnifiée au travers de sa monumentale installation des Extases  présentée en l'occasion dans la chapelle du Musée de l'Hospice Comptesse, dans le Vieux-Lille. « Le goût des beaux dessins », écrivait Focillon, n'est-il pas « une des plus hautes élégances de l'esprit » ?

 

Texte et photos de l'exposition "Traits de génie" : MG - 15 février 2013, in  Magazine des Arts n°6, mai-juin-juillet 2013, Lafont-presse.

 

 

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