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Alberti et Mantegna : styles "dissolu" et "composé"

Publié le par MG

1. Le traité de peinture de Leone Battista Alberti (1404-1472) :

De Pictura (1435) est le plus long et le meilleur écrit sur la peinture. Il se fonde sur un contact personnel avec l’art et se soucie de développer une méthode. Ce traité s’adresse à un lecteur qui pratique le latin, connaît les Eléments d’Euclide et s’adonne au dessin et à la peinture.

  • Dans le Livre I, Alberti traite de perspective, d’éléments optiques et de géométrie. C’est un livre préliminaire pour le Livre II.
  • Dans le Livre II, Alberti traite de la composition picturale, c’est-à-dire de la manière dont un tableau doit être organisé pour que chaque surface plane et chaque objet apporte sa contribution.
  • Dans le Livre III, Alberti traite des rapports entre le peintre et les autres artistes.

Pour Alberti, l’histoire est une composition (§ 32). Par compositio, Alberti entend une hiérarchie de quatre niveaux : les surfaces planes s’assemblent en membres ; les membres s’assemblent en corps ; les corps s’assemblent en une scène cohérente de peinture narrative. La composition d’Alberti est calquée sur celle de la rhétorique : les mots s’assemblent en groupes, les groupes en propositions et les propositions en phrases. Alberti étudie d’abord les qualités des surfaces planes à l’intérieur des membres dont elles constituent la superficie, puis les rapports qui sont de mise entre les membres et le corps auquel ils appartiennent, enfin les fonctions et la pertinences des corps à l’intérieur de l’ensemble narratif de l’historia.

Pour la compositio superficierum, Alberti conseille de suivre la nature pour guide. Il passe ensuite à la compositio membrorum, puis à la compositio corporum : « Aucune histoire qui soit à ce point remplie d’une si grande variété d’actions, que neuf ou dix hommes ne suffisent à l’accomplir dignement. »

Le plus grand travail du peintre, nous dit Alberti (§ 33) est de faire une peinture d’histoire. L’artiste doit maintenir une certaine proportion dans les membres, d’où l’intérêt d’étudier l’anatomie (§ 36) : lorsque l’artiste compose, il doit rechercher la grâce et la beauté. Tous les corps doivent s’accorder par la taille. C’est une démarche nécessaire pour atteindre la beauté, l’harmonie, l’unité. L’histoire ne doit pas comporter d’éléments incongrus car le message de la peinture d’histoire est grave (gravis) et exalte une certaine morale (dignitas). Alberti critique donc la peinture du Trecento et du Quatrocento.

L’histoire doit comporter certains éléments (copia et varietas des choses, § 40) pour le plaisir artistique, le plaisir de l’âme (voluptas). Cette abondance (copia) n’est pas une surenchère gratuite (variété, pondération, modération, retenue) : elle doit convenir à l’évènement représenté. Alberti dénonce ainsi la peinture du gothique où les nombreux éléments sans lien entre eux concourent à la confusion : la copia doit être subordonnée à la compositio car si on ne recherche qu’elle, on tombe dans le dissolutus (disjoint). Nous pouvons donc dégager une opposition stylistique commune à la peinture et à la littérature : aux productions dissolutae (la peinture de Pisanello et la littérature de Guarino, par exemple) s’opposent celles compositae (la peinture néo giottesque, celle de della Francesca et de Mantegna).

 

Andrea Mantegna 2 

Andrea Mantegna, La Mise au tombeau, vers 1470,

burin et pointe sèche, 22,9 x 44,2 cm., National Gallery of Art, Washington.

 

 

2. Andrea Mantegna (1431-1506) et le style « composé » :

On peut apprécier chez Mantegna, son dessin, son coloris, ses connaissances en architecture et en perspective, ses penchants humanistes et son érudition – cela dans des entreprises fort variées -, mais la qualité qui lui est spécialement reconnue (et perçue comme proprement moderne vers le milieu du XVe siècle) est son sens aigu de la composition.

Mantegna est en effet, avec Piero della Francesca (1420 ?-1492), le seul peintre qui ait vraiment mis en œuvre les conseils d’Alberti dans De Pictura. Si l’on examine une composition largement diffusée, comme la gravure de la Mise au tombeau ou Déploration sur le Christ mort (1460-1470, National Gallery of Art, Washington), on constate que l’artiste suit les recommandations d’Alberti sur plusieurs points :

  • pas plus de dix figures disposées sur un pavimentum (le pavement) en forme de plateau scénique ;
  • absence d’asperitas dans les corps eux-mêmes composés de membres qui se décomposent à leur tour en surfaces  diversement éclairées par la lumière (utilisation du burin pour les hachures) ;
  • poids du Christ mort contrebalancé par les autres corps vivants qui le soutiennent ;
  • enchaînement harmonieux des corps composant la storia ; ici le groupe des pleureuses à l’arrière-plan, le groupe principal central s’enchaînant avec celui de trois autres personnes à droite (schéma 3-4-3) ;
  • beauté du groupe tenant à la variété (varietas) de son organisation et non à une richesse excessive (copia) ;
  • variété tenant aux mouvements des corps dans des directions différentes ; ces corps sont autant de variations expressives sur le thème commun de la lamentation ; l’accent est mis sur les affectionum motus que relève Alberti dans la fameuse fresque de Giotto, La Navicella, à Saint-Pierre de Rome ;
  • personnage de Saint Jean tenant le rôle du chœur des tragédies antiques : c’est un « admoniteur » qui désigne et commente l’action au spectateur ;
  • enfin, Alberti conseille que tous les drapés volent au vent dans la même direction. Il voudrait que les artistes introduisent dans le ciel une tête de Zéphyr soufflant d’entre les nuages, mais Mantegna supprime cet artifice. Il se sert néanmoins des nuages (cumuli humiles) pour indiquer la direction du vent.

 

Ainsi s’établit un style « composé » (compositus) en réaction au style purement descriptif de peintres de la génération précédente, comme Pisanello, qui accumulent et juxtaposent de nombreux éléments sans véritablement les hiérarchiser et sans tempérer la copia par la varietas. Ce vocabulaire, emprunté aux traités de rhétorique, confère à la peinture de Mantegna et des peintres qui sont à l’avant-garde vers 1450-1460 une dignité égale à celle de l’art du discours. Les conséquences d’une telle conception seront capitales pour l’histoire de la peinture moderne de Raphaël à Poussin et au-delà.

 

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Bibliographie :

- L. B. ALBERTI, Traité de la peinture, Macula, 1992.

- M. BAXANDALL, Alberti et les humanistes : la composition in Les Humanistes à la découverte de la composition en peinture, 1340-1450, éd. Du Seuil, Paris, 1989 (p. p. 151 à 171).

- Andrea Mantegna, peintre, graveur et dessinateur de la Renaissance. Catalogue d’exposition, Royal Academy, London ; Metropolitan Museum, New York, Gallimard/Electa, Paris, 1992 (gravure n°38-39).

 

 

MG - 10 juillet 2012.

 

 

Lire aussi :

-  Les caractéristiques artistiques d'Andrea Mantegna au travers du Saint Sébastien d'Aigueperse.

 


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